Avertissement. Cet article peut présenter des passages à tendance geek. Les mots cortex préfrontal et robot-rat ont néanmoins été censurés.
Qu’est-ce que le commun des mortels connaît du monde de la recherche ? Pas grand-chose, même si on a lu quelques bouquins de David Lodge. On se dit qu’ils font des trucs extrêmement précis, à tendance inutile, comme le fameux chevalier paysan de l’an mil au lac de Paladru. Certes, les scientifiques ont un peu plus de crédit que les chercheurs en sciences humaines (parce qu’on croit qu’ils sont médecins et font de la recherche sur des maladies). Mais bon, finalement, tout cela est bien flou. Puisque Manu a eu la gentillesse de m’écouter parler de mon boulot pendant des années, et que même parfois il aurait pu aller bosser à ma place tellement il connaissait mes projets avec exactitude, je dois lui rendre d’une certaine façon la monnaie de la pièce. Je vais vous présenter aujourd’hui son quotidien de chercheur (le premier épisode, c’était là). C’est parti pour du Fred & Jamy !
C’est comment un campus américain ?
Vous imaginez les équipes de sport, le blouson avec le nom de la fac, d’immenses bâtiments, le dean, etc. Eh bien oui, c’est comme ça. Boston University, autrement appelée BU (prononcé billou), est un immense campus en plein cœur de la ville (comme les 2 autres grandes facs de Boston : MIT et Harvard, qui se fondent dans le paysage). En plein cœur signifie le long d’une grande avenue. BU n’est pas délimitée dans l’espace, on passe de la ville à la fac (signalé par des petits drapeaux sur les bâtiments) puis la ville à nouveau.
Tu es post-doc = tu es encore étudiant ?
La thèse n’était déjà plus vraiment une poursuite de mes études. Je n’ai jamais suivi de cours en étant thésard, c’était un vrai travail, rémunéré, impôts, toussa. Certes, j’avais toujours des réductions étudiantes. Aux Etats-Unis néanmoins, quand ils sont en thèse, ils disent qu’ils vont « à l’école », ils ont des cours, mais sont payés. Il y a plutôt une bonne opinion de la thèse et des chercheurs ici.
En étant post-doc, j’ai juste gagné un certain échelon de légitimité dans la recherche. Je suis, comme en thèse, indépendant dans mon boulot sans pour autant avoir de responsabilité au sein du labo, comme peut en avoir un chef d’équipe (NDLR : depuis la thèse, les horaires de Manu sont néanmoins devenus plus proches de ceux de l’employé de bureau lambda que du vampire qui vit la nuit).Tu cherches, tu cherches, mais qu’est-ce que tu trouves ?
Au Mass General, le gros hôpital de Boston, un médecin, Sydney Cash (nom très cool) traite des patients épileptiques. Les épilepsies en question sont incurables par les méthodes habituelles. Syd a donc recours à une solution plus extrême : détruire la parcelle de cerveau fautive, la plus petite possible, pour limiter les dégâts (comme la perte de mémoire ou la perte de motricité… c’est du sérieux). Pour délimiter au mieux cette zone, Dr Cash dispose un ensemble de capteurs sur une large zone du cerveau (vraiment à même le cerveau, donc en découpant la boîte crânienne…). Ces capteurs permettent de déceler où l’activité est anormale.
Les données ainsi enregistrées sur l’humain sont très précieuses, car n’étant autorisées que dans un but thérapeutique, elles sont assez rares. Mon équipe (des mathématiciens, en gros) récupère ces données, après le traitement des patients, et s’en sert pour comprendre les mécanismes de l’épilepsie. Et de façon plus générale, pour étudier la dynamique des activités électriques du cerveau. (restez, après ça ne se complique pas)
Qu’est-ce que tu fais au quotidien ?
1er étape. « Faire la bibliographie ». Ce qui consiste à vérifier que personne n’a déjà fait la même recherche que moi. Et à lire beaucoup d’articles qui tournent autour de mon sujet. Ça peut prendre un temps fou. À la fin de cette étape, un certain nombre d’idées ou hypothèses prennent forme.
2e étape. Tester les hypothèses avec des analyses (c’est le moment où je vais utiliser les données enregistrées dans le cerveau).
3e étape. Quand je serai convaincu par mon travail d’analyse, c’est le moment d’essayer de convaincre les autres. J’écrirai un article qui résumera mon travail. Puis, j’essaierai de le publier dans une revue scientifique (pas Pour la science ou Science & vie, le genre de revue qu’on ne trouvere pas chez son marchand de journaux).
*Article : document d’une quinzaine de pages (en moyenne), sur une double colonne, écrit en pas très gros. Il peut y avoir des figures en couleur pour animer. Bref, c’est fastidieux. Mais intéressant (en général).
Les + dans ta vie de post-doc à Boston
Ce qui est super ici, c’est l’environnement scientifique : je croise beaucoup de personnes dont je lisais les papiers en France. Can I have an autographe please Dr [nom inconnu de 99% des gens] ? L’ambiance de la recherche est top. Par exemple, il y a un groupe inter-universités qui travaille sur la même thématique (à savoir, les rythmes dans le cerveau). Pour faire vivre ce groupe, plein d’événements scientifico-sociaux sont organisés.
Concrètement, ça donne une retraite scientifique au mois de mars (NDLR : avec spa inclus ?). J’ai assisté aussi à un diner talk au MIT. Ça se présente comme une sorte de cabaret, mais au lieu d’avoir un spectacle de magie, un brillant chercheur vient parler de son travail. L’assemblée est loin d’être endormie par son plat de lasagne et le mitraille de questions précises. C’est détendu, mais pas complètement. Bref, on n’est pas chez des amateurs ici.
Les – dans ta vie de post-doc à Boston
Il n’y a pas de cantine. Ce n’est pas tant la qualité du RU de Jussieu qui me manque particulièrement, mais c’était sympa de faire un break tous ensemble en même temps. Ici c’est plutôt chacun de son côté, et vite fait devant l’ordi. #sad J’essaye de changer ça, en motivant mes collègues à prendre une pause-repas. Ça bouge doucement. #espoir
Les réunions du vendredi où chacun parle de son travail. Un moment éprouvant où j’ai l’impression de dire, quand je dois me présenter aux intervenants de passage : « Moi faire analyse cerveau s’il vous plaise. » (enfin, en anglais…). Mon co-bureau, lui, semble toujours avoir une idée intelligente à partager (qu’il me faut quelques secondes à comprendre – barrière de la langue, barrière de la science ?). Je soupçonne qu’on m’ait mis avec lui dans le bureau pour améliorer mon niveau, comme à l’école primaire, où on mettait toujours un nul avec un fort. Coïncidence, je ne crois pas.
13 réflexions au sujet de “Etre chercheur à la Boston University #2”
#jairatémavie
Je savais que j’aurai du faire doc…
Salut! Tout d’abord félicitation pour ce blog. Je suis tombée ici en googlant « post doc Boston » puisque moi aussi j’envisage très certainement l’expatriation après ma thèse en bio. Témoignage super intéressant donc pour quelqu’un dans ma position. Ma question c’est (enfin yen a plusieurs): « a-t-il été difficile de trouver ce poste pour lui? Est-ce qu’il a commencé à postuler depuis la France ou bien déjà sur place? « . Bonne continuation à vous 2 et encore bravo pour ce blog que je vais continuer à consulter régulièrement.
Manu a postulé depuis la France et il avait envoyé pas mal de candidatures spontanées dans différents pays anglophones. Pour ce poste en particulier, un entretien skype pendant l’été, une visite du labo un mois plus tard et c’était bon – même si ce n’était pas sa thématique de travail de départ, ça a bien marché !
Merci pour ton message et bon courage pour la suite !
Et pour compléter la réponse de Mathilde, Ca a marché dans ce labo plutôt qu’un autre parce qu’ils avaient déjà une grant pour travailler sur cette thématique et ils cherchaient quelqu’un. Y a tjs le côté chance qui joue, « être là au bon moment ».
Merci pour vos réponses (et rapides qui plus est)
@La Grande Blonde. Le syndrome de l’imposteur habite Manu aussi… faut y croire 😉
@LadyMilonguera. C’est chouette oui ! Merci pour ton message.
@mariel. Pas clair ce que tu dis, je n’ai pas bien saisi…
@Elodie. J’ai osé le sujet du boulot de chercheur… j’espère ne pas en avoir perdu trop en route. Merci pour ton message.
@Julie. Je me souviens parfaitement de cet apéro !! pour toute question subsidaire, tu as le mail de Manu 😉
t’as raison, c’est pas clair 🙂
Je voulais dire que mon mari aussi était dans la Recherche, à croire que c’est le cas de beaucoup d’expat, et que vivant près d’un campus j’ai envisagé d’aller suivre les cours à la fac (les cours en amphi, avec 200 eleves, un de plus un de moins, personne ne verra la difference), sauf que pour le coup, j’étais la plus vieille, meme la prof était plus jeune que moi 🙂
ahhhh, ok ! 🙂
ça me rappelle un verre place de la contrescarpe, une des premières fois où j’ai rencontré Manu. Je lui avais demandé: » Mais concrètement, tu cherches quoi? Et comment? » Je ne suis toujours pas sûre d’avoir tout saisi, mais je progresse dans ma compréhension du métier !
Article très intéréssant sur un sujet que l’on a pas l’habitude de traiter 🙂 Très chouette! 🙂
aujourd’hui pour partir à l’étranger faut etre dans la Recherche. ici « on » (oué pas moi) cherche, mais « on » est pas post-doc (ni chercheur d’ailleurs ce qui nous a bien compliqué la tache et qui nous a empeché de partir à Boston…).
J’adore etre proche du campus (les filles sont à l’école sur la fac ou juste à coté). J’ai d’ailleurs essayer de sneak in des amphis pour assister à des cours, mais j’ai eu l’impresssion d’etre la plus vieille de la salle (prof inclus) du coup, j’ai pas osé, mais, c’est décidé, je vais oser!!
Punaise, j’ai tout compris !!! Ce doit être une chouette expérience quand même…
He bien, post-doc en plantes a Canberra, c’est la meme chose, les rats en moins, les serres en plus… Les horaires qui redeviennent presque raisonnables (tout est dans le presque), l’impression d’etre un peu plus adulte mais aussi un imposteur de premiere categorie (ils vont s’en rendre compte, ils vont bien s’en rendre compte que je suis nulle)… Et surtout, une ambiance de boulot completement differente, a la fois detendue et tres concentree, c’est simplement redoutable d’efficacite !
Pour l’anglais, ca s’arrange vite, foi de Grand Blonde qui ne pigeait que pouic aux reunions de labo (et a tout le reste aussi, d’ailleurs) les premieres semaines. Au bout de, allez, trois/quatre mois, c’est alle comme sur des roulettes.
Bonne continuation, Dr Manu!
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