10 ans de vie à Boston, ça fait 10 ans de tempête de neige – enfin, 9, si on exclut l’année où il n’y a pas eu de neige.
Pendant toutes ces années, j’ai vécu dans un appartement sur un campus, où le déneigement était pris en charge par une armée de déneigeurs sur-organisés, qui, dès les premiers flocons, sortaient les machines pour déneiger la route, les trottoirs, les escaliers, les bancs.
Au réveil, tout était nickel, lisse, et sans potentiel verglas.
Je répétais en toute innocence : « C’est bien l’hiver », même si parfois je devais faire de grands pas pour éviter les flaques aux intersections.
Et puis j’ai acheté un appartement. Au lieu de gagner en statut*, j’ai gagné le droit… de déneiger : il n’y a plus d’équipe qui vient le faire la nuit, sans que je ne m’en rende compte. A moins de les engager pour le faire.
Il y a trois appartements dans la maison où je vis, et chaque personne déneige à tour de rôle, selon un accord tacite de bien vivre ensemble.
Samedi dernier, il a neigé. Beaucoup. Catégorie : blizzard.
A tel point que j’ai même reçu des messages depuis la France, d’inconnus et de la famille, me demandant comment ça se passait pour nous. On avait dû en parler aux infos françaises.
Pendant la journée, j’ai rapidement ressenti un cas sérieux de « cabin fever », cette angoisse claustrophobique de rester à l’intérieur.
Interlude « Cabin fever » :
- niveau 1 : trier, ranger des trucs
- niveau 2 : se lancer dans de la pâtisserie (en espérant avoir les ingrédients requis) – j’ai fait un batch de cookies de Sarah Kieffer
- niveau 3 : online shopping
J’ai passé les trois niveaux, et à la première accalmie, je suis sortie déneiger.
C’était la toute première fois en 10 ans que j’allais déneiger. Première fois depuis toute ma vie en fait. L’hiver dernier, on vivait déjà dans cet appart, mais j’avais l’excuse d’être enceinte. Cette fois, j’étais motivée.
En poussant la porte, le constat était clair : je n’avais aucune idée de comment procéder.
C’est parti ! ou plutôt… c’est parti ?!?!
J’avais de la neige jusqu’au genou. J’ai pris une des 4 pelles posées à côté de la porte d’entrée, et j’ai commencé à… déplacer la neige d’un point à un autre. Pas facile au départ, puis j’ai trouvé mon rythme. Et j’ai trouvé où déposer la neige sans créer un nouvel obstacle.
Et c’était… fatigant. Epuisant. J’ai vite eu très chaud sous mon gros manteau, et par -20°C.
J’ai nettoyé les marches, le devant de la maison, j’ai tracé un chemin sur le trottoir. Je me suis posée tout un tas de questions existentielles, faut-il intervenir au milieu de la tempête ou à la fin. Qu’en est-il du sel ? Est-ce que c’est du sable ou du sel ?
J’ai vu passer des gens en ski, des gens avec des chiens, des gens avec des bébés bien emmitouflés. Il y a une certaine joie dans les rues, un jour de neige, quand tout semble à l’arrêt.
En remontant au chaud chez moi, Manu m’a rappelé que déneiger était une cause de crise cardiaque. J’ai ri parce que j’adore ce genre de fun fact angoissant. Mais je me suis aussi dit omg so true : c’était un vrai workout.
« New England winters are no fun »
C’était fun de déneiger, parce que c’était la première fois, et parce que j’avais envie de le faire, parce que je n’étais pas dans l’urgence. Mais je vois bien tout le déplaisir que cette activité peut engendrer, surtout plusieurs fois dans l’hiver.
Si j’ai longtemps juste dit « c’est beau l’hiver » sans tenir compte de ces contraintes, je reconnais à présent mon privilège passé de n’avoir jamais eu à déneiger.
Car on peut aussi être woke de la neige et du déneigement.
Début 2019, je me suis retrouvée en béquilles pendant plusieurs semaines, et ça avait été une galère pas possible de me déplacer dans Boston.
A présent, sortir en poussette est tout simplement impossible. Les passages dégagés sur les trottoirs sont pour la plupart trop étroits, la majorité des intersections ne sont pas déneigées.
J’imagine que toute personne à mobilité réduite se retrouve dans ce cas.
Plusieurs des « moms » d’un groupe Facebook local auquel je participe se plaignent de la situation, beaucoup sont très énervées (moi inclus). On attendrait que chacun prenne ses responsabilités et fasse sa part du travail et déneige devant chez eux, mais vous avez déjà vu un effort global pour le bien de tous fonctionner ? Not so much.
La législation demande de dégager un chemin d’au moins 3 pieds (un peu moins d’un mètre) sur le trottoir, de ne pas encombrer les pistes cyclables en le faisant. Mais c’est rarement le cas.
« Faut être patient, ça va bien finir par fondre ». Ca m’agace qu’on me dise ça, c’est juste un manque de compassion, bordel.
C’est sûr, ça va fondre. Merci de me prévenir. See you dans trois semaines.
J’ai besoin de ça !! Illustration de Lucy Knisley dans son livre Go to sleep (I miss you)
Bref, j’aime toujours l’hiver, sa lenteur, le froid, la neige… mais seulement la neige fraîche : c’est beau quand ça tombe, c’est beau le lendemain quand le soleil brille et que c’est tout blanc, mais en vrai, la neige, ça devient vite noir et mouillée. Glissant. Traître. Slushy. Pas beau, sale. Beurk.
*lol
16 réflexions au sujet de “Le bonheur de déneiger en hiver (ou pas)”
Sympa de te lire 🙂 à Grenoble on a un vrai hiver cette année Et moi j’adore
Waouh, Mathilde, merci de réécrire ! Ca fait si plaisir de te lire. Je n’avais pas pu te lire via Patreon, n’ayant pas les moyens à cette époque, malheureusement.
C’est génial. Et malgré tout, même si je compatis sincèrement, je dois avouer que les hectolitres de neige me rendent assez jalouse…
Merci, vraiment !
Dans son livre sur les biais sexistes, Car°line Criad° Per*z* raconte que le déneigement des villes peut être vu sous l’angle des inégalités femmes-hommes, parce qu’en dégageant d’abord les routes, puis les trottoirs, cela impacte plus les parents (femmes), avec des poussettes, notamment. La ville suédoise de Karlskoga a expérimenté de déneiger dans le sens contraire… Ce qui peut aussi être utile pour la sécurité sociale.
« After review, Karlskoga prioritized day cares, where parents usually go first in the morning, followed by areas around the largest work places regardless of gender, followed by schools, and then the main roads. As a result, the municipality noted that it had become more accessible for everyone during and after snowfall, particularly children. (…) Statistics show that each winter in Sweden, there are three times as many people injured on footpaths than on roads – which in turn increases socio-economic costs, he noted. » (The Local.se, Sweden warms to ‘gender equal’ snow ploughing, 11/12/2013)
En Belgique et à Luxembourg, ce sont les occupants du rdch qui sont en charge du déneigement. On a vécu deux ans au rdch, prêts à dégainer le sel et la pelle au moindre flocon… Même si on n’a pas autant de neige que par chez vous, bah on est bien content de ne plus devoir y penser maintenant qu’on a déménagé.
Hello Marie, oui j’avais lu cet article sur cette étude en Suède (partagé d’ailleurs dans cette même thread sur le groupe FB se plaignant du déneigement lent des trottoirs), j’avais trouvé ça assez édifiant, et une fois de plus, comment un acte apparemment anodin est teinté de discriminations. C’était peut-être déjà évident pour les personnes non-valides
Pour avoir poussé ma marraine en chaise roulante pendant plus de 20 ans, on ne voit pas l’espace de la même manière, en effet. Les trottoirs trop hauts, les dalles bancales, les obstacles…
(Et je retire ma dernière remarque, pas très maligne.)
Un grand plaisir de te lire, comme d’habitude !
Oh quel plaisir de te lire à nouveau 🤗!
Je ne vis pas à Boston mais juste à côté de Paris et comment dire…pour moi la neige c’est angoissant, je n’aime pas du tout. La derniere fois que la neige a un peu tenu (ce qui est rare ici heureusement), j’ai mis 3 heures pour rentrer en voiture du boulot (au lieu de 20 mn) et toutes les voitures zigzagaient et dérapaient, l’angoisse totale, surtout dans les montées et descentes (et evidemment ce n’est pas que du plat sur mon chemin) !
Quant au deneigement devant les maisons et immeubles (et les services municipaux) et bien…..les gens semblent l’oublier ou en avoir rien à faire (meme si leur responsabilité peut etre engagée en cas d’accident) : un gros gadin devant la bibliotheque de ma ville…ça c’est déjà fait, merci (le verglas s’en mêle parfois, un vrai bonheur 😀).
Pour moi la neige c’est beau mais de loin et pas en ville…
Bon courage à Boston 😉! Comme beaucoup de choses aux USA, c’est dans la démesure, même la neige.
Merci July, oui j’imagine que la neige là où on ne l’attend pas, ça met vraiment le bazar !
Globalement la vie avec une poussette c’est la misère. Dans un tout autre style, les trottoirs microscopiques et le métro sans Escalator ni ascenseurs de paris c’est pas mal aussi… solidarité !!!
Et donc nous le porte bébé est notre meilleur ami, et en plus l’Enfant a chaud. Enfin chez nous.
Bon courage !
Ah mais oui, les trottoirs microscopiques ! je m’étais fait la réflexion la dernière fois que je suis rentrée (en 2019 !)
La poussette ça repose un peu, mais team porte-bébé aussi ici !
Après 8 hivers à Montréal, et de nombreux déneigements de voitures et de balcons, je dois avouer que je ressens un sentiment ambivalent ! La neige, la belle neige fraîche que tu mentionnes me manquent pas mal, je suis au Sri Lanka là, et je ne verrai donc pas la neige cet hiver… Et en même temps, quel plaisir de ne pas avoir à déneiger et à se balader sans le gros manteau 🤣
Hello Pernelle ! Sympa de te lire ici et ça me donne l’occasion de te dire que j’ai beaucoup aimé tes photos d’Istanbul !
Cette année, il fait doux et bon à Édimbourg pour la saison, et la neige me manque (enfin, pas pour la conduite hein, je suis pas complètement cinglée non plus). Mais quand je lis ce genre d’article… Ben finalement ça me manque pas tant que ça ! Et encore, il n’a pas neigé tant que ça l’année dernière. 😀
Sur une autre note, je n’imagine pas à quel point ça doit être gonflant de ne pas pouvoir se déplacer sur les trottoirs, avec une poussette ou en tant que personne à mobilité réduite. Force à toi, à ta poussette et à tous ceux que la neige sur les trottoirs emmerde. Bises x
La neige c’est beau en théorie et pour quelques jours seulement, c’est ça ! 😀
Bises,
Que c’est chouette de retrouver tes articles !
Et que c’est vrai ce que tu dis ! Bizarrement depuis qu’on a une poussette on se rend compte de beaucoup de désagrément et je ne peux m’empêcher de me demander comment font les gens en fauteils roulants ! Clairement rien n’est vraiment adaptés !
Bref, vive la neige fraîche, belle est immaculée et vivement un peu le printemps aussi quand même ^^
J’avais déjà constaté la complexité des déplacements complexes en ville (poussette, fauteuils, ou autre) pendant les visites guidées, mais c’est sûr que l’hiver aggrave le problème. Bonne nouvelle, il pleut depuis hier, ça fait fondre une partie des « murailles de neige ». Mauvaise nouvelle : c’est de la pluie verglaçante. Ahah !