C’est le dernier récit de voyage à Terre Neuve, et je termine par ce qui reste un des plus beaux souvenirs de cet été, voire sans doute un des plus beaux souvenirs de vacances de ces dernières années : une nuit sur la toute petite île de Quirpon Island, au nord de Terre Neuve.
C’est grâce au guide Moon que j’ai trouvé ce logement atypique, et on a eu de la chance : l’hôtel – au petit nombre de chambres – avait de la disponibilité au moment où on prévoyait d’être dans cette partie de Terre Neuve.
C’était un pari : j’ai lu pas mal de commentaires sur cet endroit sur Tripadvisor et autres, et il était recommandé d’y rester deux nuits – mais vu le coût et nos disponibilités, j’ai préféré ne rester qu’une seule nuit ; j’avais lu aussi que s’il faisait moche, ce qui était très probable, c’était compliqué de faire quoi que ce soit d’intéressant, puisque la seule possibilité de distraction qu’offre l’île sont les promenades au grand air, et les conversations avec les autres guests de l’hôtel. J’ai donc choisi une seule nuit, et j’espérais que tout se passe bien.
C’est en fait allé au-delà de ce que j’attendais : le dépaysement était total, la sensation de bout du monde était magique, en prime, on a rencontré des gens super et on a vu des baleines. Bingo de vacances réussi.
Je vous raconte tout ça en détails…
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Samedi 31 août 2019. C’est la deuxième fois qu’on passe en voiture sur le quai d’embarquement pour Quirpon Island. On était passé la veille juste pour voir où c’était – j’avais du mal à contenir mon enthousiasme. Il faisait brumeux, un brouillard épais rendait l’ambiance assez mystérieuse après une journée de pluie. Sur la note du coupon de réservation, il est noté d’arriver à 15h30, mais j’avais lu sur leur site qu’on pouvait arriver plus tôt, et que si le bateau était là, on nous emmènerait sur l’île en avance.
Après une première promenade dans les environs, je propose à Manu de passer voir. Hélas, il n’y qu’un chien en laisse face à une cabine, vide, quelques bateaux de pêche à quai. On tourne en rond, et on repart. Une heure et une autre promenade plus tard, on est de retour sur le quai, et cette fois, il y a du monde. Je serre la main d’une dame qui me dit être la cuisinière sur Quirpon Island, mais pas ce soir (j’espère que quelqu’un fera quand même à manger). Le capitaine peut nous emmener immédiatement ; on a préparé notre sac à dos – on nous a bien dit de voyager léger, tout le reste de nos affaires est dans le coffre de la voiture.
La traversée se fait en 5 minutes à peine ; Ed, le propriétaire de l’hôtel sur l’île, nous emmène à Grandma’s Cove. Il nous dépose et s’en va tout de suite après : nous voilà tous les deux sur la fameuse île de Quirpon.
Avant de partir, Ed nous a juste dit de suivre les panneaux, de scruter la côte pour voir des baleines, et de ne surtout pas rater les trois crânes. « Prenez à gauche à ce moment-là, ne les ratez surtout pas ! » Il a tellement insisté qu’on cherchera les trois crânes à chaque détour, jusqu’à temps de tomber dessus, et de comprendre qu’on n’aurait de toute façon pas pu les rater.
Bye Bye Ed
« Y’a qu’à suivre le panneau »
On a 5,5 km à faire à pied pour rejoindre notre hôtel au pied du phare. Dans les commentaires en prévision du voyage, j’avais lu quelques complaintes de voyageurs qui avaient débarqué sur l’île par temps pluvieux, froid et venteux, et qui ont vécu cette promenade de façon horrible, en se plaignant que ce n’était pas normal d’arriver dans de telles conditions à un hôtel. Heureusement, ce n’est pas notre situation aujourd’hui, malgré un vent à décorner des boeufs, il fait plutôt bon, et le paysage est à couper le souffle.
La terre est brune, et boueuse par endroits. Au début, on marche en presque en équilibre sur les rails prévus pour un véhicule tout terrain.
Personne n’habite sur cette petite île, à part l’hôtel où l’on va, un phare encore en activité et qui appartient à l’Etat, et la maison d’un écrivain. Cette île était autrefois surnommée « l’île aux démons » par des navigateurs français, on l’imaginait peuplée de bêtes sauvages et hantée par un jeune homme qui y aurait été abandonné, pour l’éloigner de sa maîtresse.
C’est parti pour une marche les cheveux au vent !
Voilà les fameux « 3 skulls » : on prend à gauche à ce moment-là
La première partie de la marche : sur une piste de petit véhicule tout-terrain
En route
Un beau petit sentier de terre brune au milieu d’un paysage de bruyères
La bonne surprise : un seau rempli de petites bouteilles d’eau fraîche nous attend en haut d’une colline
On est tout seuls, on ne croisera personne jusqu’au phare. On marche chacun de notre côté, à prendre des photos, profiter du paysage et guetter les baleines. Le vent, les odeurs, les couleurs : tout est absolument splendide.
A perte de vue, c’est un paysage de bruyères avec des petites mares, aucune végétation haute ne pousse par ici à cause du vent.
Eau douce et eau de mer
Phare en vue
A l’entrée de l’hôtel
Notre chambre, la n°4, au charme rustique
Après plus de 2h de marche – on a pris notre temps, on arrive enfin au phare. Il est 17h30.
Plusieurs personnes sont en train de boire un thé ou du vin sur le porche d’entrée ; ils ont l’air surpris de nous voir débarquer, on explique qu’Ed nous a déposé plus loin pour nous permettre de randonner jusqu’à l’hôtel, un des couples est déçu d’avoir fait le trajet en bateau rapidement – c’est l’autre façon d’arriver à l’hôtel quand la mer est calme, on peut faire tout le tour de l’île en bateau, et marcher à peine 10-15 minutes pour rejoindre l’hôtel.
On dépose nos affaires dans notre chambre. L’hôtel est divisé en deux maisons, celle au pied du phare où nous sommes, et une autre, similaire, un peu plus loin. Personne ne dort dans le phare, il n’est pas ouvert au public. En bas de notre maison, au premier étage, se trouvent la cuisine, une salle à manger où la table est déjà dressée, et un petit salon avec une bibliothèque le long des murs surchargés. Et à l’étage, 4 chambres. La nôtre est la n°4, elle est toute petite, avec une vue sur la mer, mais hélas une fenêtre qui ne s’ouvre pas. Les toilettes sont sur le palier. On nous racontera plus tard dans la soirée qu’un ours polaire est venu cet hiver et avait cassé les vitres de la cave, à la recherche de nourriture – les ours viennent parfois jusqu’ici – en marchant ! car tout est gelé autour de l’île le reste de l’année. Si la banquise fond, ils sont capables de nager près de 50 km d’affilée pour rejoindre le Labrador.
*
On descend rejoindre les autres convives dehors – le couple de jeunes vient de New York, on sympathise aussi avec des voyageurs venus d’Israel. Le reste des personnes sont assez âgées, et pour la plupart soit du Midwest, soit des British.
Le repas est servi à 18h, et il est déjà l’heure de se mettre à table. Par une drôle de coïncidence, les New Yorkais font le même job que moi : ils ont une petite entreprise de visites guidées à Brooklyn, spécialisée dans l’histoire super précise de ce borough de New York.
Après le repas, on part se promener et profiter du coucher de soleil. Quand il fait noir, vers 20h, il fait complètement noir… à part le double rayon du phare qui fend la nuit. On s’installe dans le salon et on discute – avec les New Yorkais et les Israéliens. Le voyage apporte une proximité presque immédiate, on partage nos impressions sur Terre Neuve et Labrador, les randonnées, la cuisine, les gens qu’on a croisés. Et puis les histoires de voyages commencent, l’un des couples nous raconte une histoire complètement folle de leur fils perdu dans la jungle en Bolivie… et ils nous disent à la fin que ça a même été adapté en livre et en film. Bref, personne ne peut surpasser la folie de leur histoire, on va se coucher. La soirée était excellente – sans doute par son côté imprévu ; on se promet de se réveiller pendant la nuit pour voir une aurore boréale (spoiler : personne ne se réveillera).
L’hôtel et ses petites fenêtres – notre chambre est celle en haut à droite
Sortie le soir en attendant le coucher du soleil
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Dimanche matin
J’ouvre un oeil vers 6h du matin. Le jour commence à peine à poindre, je me force à me lever et propose à Manu de sortir avec moi… mais il rechigne. Je sors toute seule, et en ouvrant la porte de l’hôtel, voilà la vue auquel j’ai eu droit – c’est la photo ci-dessus : le phare, et le soleil qui se lève au-dessus de la mer, c’était beau.
Je commence à faire ma petite promenade du matin en solo, et finalement, qui vois-je arriver ? Manu, qui a réussi à braver l’heure matinale pour profiter des quelques heures à peine qu’on a encore sur l’île – le petit déjeuner est prévu à 8h, et le bateau vient nous chercher à 9h30.
On est le 1er septembre, et les pêcheurs ont le droit de venir pêcher à nouveau dans la baie.
Manu est motivé pour monter tout en haut d’une falaise de l’autre côté du phare. On nous a dit de ne pas nous soucier des sentiers, qu’il n’y en avait pas de toute façon, et qu’on pouvait marcher n’importe où – tant que le tourisme ne se développe pas de façon folle sur cette petite île, je suppose que c’est possible pour la nature d’endurer nos pas sur cette bruyère fragile ?
Les couleurs ce matin sont encore plus belles que la veille, sur le vert mousseux, on croise des touches de rouges et d’oranges, et même des touches de blanc : ce sont des coquilles d’oursin déposées par des oiseaux.
Baie rouge
Un autre petit trésor
Baked-apple berry, ou cloud berry – ça se mange !
Coquille d’oursin
Pierre et mousse
Encore le temps de prendre quelques notes avant le petit déjeuner
La vue sur la falaise / colline en face du phare. Absolutely amazing
Le phare et l’hôtel vu de tout là haut, et au loin, les côtes de Belle Isle.
J’adore commencer un dimanche matin de cette façon – c’est rare of course, il est juste 7h du matin, et on est bien.
En attendant le petit déjeuner, Bill – un des autres convives – scrute la côte avec ses jumelles, et il aperçoit deux jets de baleines. Tout le monde s’attroupe et on se passe les jumelles pour mieux les voir : tant mieux, on ne sera pas repartis sans en avoir vues ! Elles sortent leur tête de l’eau, plongent.
Petit déjeuner super simple
C’est déjà l’heure de partir. Après le petit déjeuner, on échange les numéros avec le couple de Brooklyn, et puis on marche vers le quai d’embarquement du bateau, celui proche de l’hôtel. Ce séjour a été très court, même pas 24 heures, mais ça me semble tellement unique, c’était tellement beau et les rencontres qu’on a faites été tellement sympa que je doute oublier cet endroit. Je m’imprègne tant qu’il est encore temps de toutes les impressions et sensations de ce lieu magique.
Je me demande si j’y retournerai un jour. C’est tellement « loin » – tout est relatif, mais ça semble vraiment loin de tout pour y parvenir.
Vous vous en doutez, j’ai adoré cet hôtel unique et toute l’expérience sur cette petite île, au pied d’un phare – depuis la randonnée jusqu’aux rencontres.
- Mon avis sur l’hôtel de Quirpon Island : Ce voyage n’est pas sponsorisé (ça arrive que des blogueurs se fassent inviter dans de beaux hôtels, je préfère préciser que ce n’était pas mon cas). J’avais pesé le pour et le contre de passer du temps là-bas et de payer 500 dollars canadiens (377$ américains, 340 euros) pour la nuit et les deux repas. Ca s’est tellement bien passer que je ne regrette absolument pas l’expérience, au contraire.
- A lire : le récap du voyage à Terre Neuve
- Vous utilisez ce récit pour votre propre voyage ? N’oubliez pas de mentionner le blog comme source d’inspiration, et revenez écrire un petit mot en commentaire pour partager votre expérience ! Un grand merci d’avance.
- Ca vous dit une nuit comme ça sur une petite île au milieu de l’océan ?
10 réflexions au sujet de “Quirpon Island, ou comment j’ai passé une nuit sur une île au bout du monde, au pied d’un phare”
Super intéressant comme toujours. Merci et bravo ✌️
Oh que c’est joli ! C’est le genre d’endroit que j’aimerais vraiment découvrir <3
en cette froide après-midi de novembre avec vue sur la grisaille et le chantier, ces images et ces textes sont une bouffée d’oxygène! quel endroit magique! merci!
Merci Anais pour ton message. Préparer cet article m’a fait le même effet : revoir des photos d’un bel endroit au beau milieu de la grisaille de novembre, ça fait du bien !
Un voyage extra-ordinaire ! Terre-Neuve sera à visiter un jour, tes récits donnent envie !
Merci Caroline! oui c’était un voyage extraordinaire, merci de l’avoir suivi par procuration !
Hello Mathilde,
Tes photos m’ont transportées, ça avait l’air tellement paisible et tellement agréable. J’avais jamais pensé à aller à Terre Neuve lors de nos différents brainstorming voyages, c’est pas une destination commune.
Mais ton article m’a donné envie, cette nuit au phare était le plus à ne pas manquer, je pense. Un beau souvenir et de belles rencontres pour vous deux.
Bises
Jessica
Salut Jessica.
Terre Neuve était une idée qui est venue vraiment à la dernière minute, je n’y avais jamais pensé non plus jusqu’à deux semaines avant d’y aller ! C’est loin, mais ça vaut vraiment le coup ! Merci d’avoir suivi et commenté ce voyage !
Merci Mathilde pour cette belle découverte, ton récit nous transporte tout de suite sur place.
Concernant le couple Israélien, il s’agit surement des parents de Yossi Ghinsberg dont l’histoire a été adapté au cinéma et dont le rôle principal est joué par Daniel Radcliffe. Ayant vu le fil il y a un mois, j’ai souri en lisant cette anecdote.
Hello Amélie ! Non ce n’est pas eux/lui, leur fils est beaucoup plus jeune – comme quoi ça arrive plus souvent que je ne l’imaginais cette histoire de se perdre dans la jungle… le film et le livre n’ont pas été traduits en anglais, j’avais cherché au retour en septembre !